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jeudi 6 décembre 2007

Une révolution silencieuse

Nous, artistes et amis du compositeur John Cage, tenons à mettre en garde et prévenir les spectateurs du concert de demain, 29 août 1952, au Maverick Concert Hall de Woodstock. Ce spectacle sera l’occasion pour David Tudor d’interpréter pour la première fois sur scène la dernière œuvre en date de monsieur Cage intitulée 4’33". Vous prévenir est essentiel du fait de la teneur tout à fait nouvelle de cette création. Monsieur Cage a longtemps étudié le phénomène du silence dans sa musique : ses Sonates et Interludes pour piano préparé de 1948 plaçaient déjà le silence comme élément à part entière de la composition et donc de la musique. Mais c’est vers la fin des années 1940 qu’il se rendit à l’université d’Harvard pour expérimenter leur installation de chambre totalement insonorisée. S’attendant à enfin découvrir la sensation de silence absolu, sa surprise fut grande lorsqu’il réalisa qu’il entendait quelques sons persistants ! Les bruits intérieurs de son organisme résonnaient dans ses tympans et les battements de son cœur mêlés à son système nerveux avaient alors été ses seuls compagnons soniques l’espace de quelque minutes, créant respectivement un bruit grave et un autre aigu.

Si la musique que nous connaissons et que nous aimons, de Jean-Sébastien Bach à Olivier Messiaen, ne peut réellement utiliser la pause ou le silence comme élément de relief et de nuance, que se cache-t-il derrière ce faux silence ? Toutes ces interrogations ont obsédé John Cage pendant bien des années, et ses résultats d’étude et de composition à ce sujet sont ainsi résumés dans 4’33".

Mes amis, trois grandes œuvres musicales de ce siècle, enfin reconnues par les experts comme essentielles pour la musique d’aujourd’hui et de demain, ont créé le scandale en leur temps : le merveilleux Pélléas et Mélisande du français Claude Debussy, l’incroyable Sacre du Printemps du russe Igor Stravinsky et le non moins envoûtant Pierrot Lunaire de l’allemand Arnold Schoenberg. Par les nouveautés de fond et de forme, ces œuvres ont ouvert de nombreuses voies pour les artistes qui allaient suivre. Qui oserait maintenant penser que l’opéra de Debussy n’est pas une sublime invitation à la rêverie, une envolée totalement hors du temps et pourtant si pleine de sens ? Qui croirait encore que les rythmes si complexes et pourtant si puissants de Stravinsky ne sont que « vacarme et bruitage » ? Ou enfin qui contredirait la force d’évocation des poèmes mis en musique par Schoenberg ?

Mais si ces créations ont bel et bien été l’objet de colères violentes et d’émeutes incompréhensibles, le manque de connaissance et de savoir en est le seul responsable. L’État américain bénéficie certainement des plus grandes têtes pensantes de notre monde, et son peuple ne saurait s’engager dans un sens contraire à la construction du savoir. John Cage est un révolutionnaire poli, et son œuvre est une ode au silence. 4’33" est constituée de trois mouvements et ne requiert aucun instrument. Demain, notre ami David Tudor l’interprétera au piano, mais elle pourrait très bien l’être autrement dans le futur. La partition ne donne qu’une indication « Tacet » par mouvement, c’est-à-dire « Silence ». Ne vous attendez pas à entendre le moindre son, les seules notes jouées seront les vôtres, et celle du Maverick Concert Hall tout entier.

4'33" est l'occasion d'une réflexion sur la musique, le silence et la perception de l'art en général. Sa place dans l'histoire vous appartient!


Les artistes et amis de John Cage, pour un art novateur et créatif.


samedi 13 octobre 2007

« Gloire aux voleurs ! »

« Gloire aux voleurs ! »

Qui penserait que Radiohead pourrait encore nous étonner en 2007 ? Le groupe, auteur de quelques albums fondateurs dont l'historique Kid A, sorti en 2000, connu pour avoir bousculé les codes liés à la fois à la musique rock et la musique électronique, a semblé très discret depuis son dernier opus Hail to the Thief (2003). Les membres du groupes élaborent projets solos et collaborations - citons The Eraser du chanteur Thom Yorke sorti en 2006 ou encore la bande originale du film There Will Be Blood composée par le guitariste Jonny Greenwood dont la sortie est prévue pour décembre de cette année - et ont collectionné les sessions d’enregistrements prévues à un nouvel album.
Prenant les fans les plus impatients et découragés par surprise, un communiqué de Jonny Greenwood daté du 1er octobre et publié sur le blog officiel du groupe Dead Air Space nous informe que l’album tant attendu est terminé et qu’il sera disponible à partir du 10 octobre. Le groupe n’étant plus sous contrat avec la maison de disques EMI, l’album intitulé In Rainbows (« dans les arcs en ciel ») sera ainsi téléchargeable pour un montant choisi par l’utilisateur. Le collectionneur pourra se tourner vers la version matérielle vendue sous la forme d’un luxueux coffret regroupant l’album, chansons bonus, vinyles et livre d’artwork pour 40 livres sterling, soit une soixantaine d’euros.

Après avoir révolutionné la vision de la musique pop au début du vingt et unième siècle, Radiohead renouvelle le concept de diffusion artistique. En ces temps de lutte anti-piratage, la démarche du groupe sonne comme une provocation, consciente ou non, au monde des majors, et plus généralement comme une question culturelle et philosophique : quel prix donner à une œuvre ?
Avant tout, l’offre gratuite d’un album par Internet n’est pas nouvelle : de nombreux groupes indépendants mettent à disposition et en écoute leurs albums via leurs labels. Citons Sufjan Stevens et sa création Asthmatic Kitty ou le groupe The Charlatans qui prévoit d’offrir l’album en mp3 par le biais de la radio anglaise XFM. Le cas de Radiohead n’est donc pas inédit mais leur notoriété soulève une multitude de polémiques : le système aujourd’hui en place de diffusion musicale n’est pas au point. Le CD est un objet de luxe dont le prix ne cesse d’augmenter. Distinguons dès maintenant majors et labels indépendants : les multinationales (EMI, Sony, Universal et Warner) fixent des prix autour de 17 euros pour une nouveauté « traditionnelle » dans les « supermarchés du disque ». Les labels indépendants, eux, montrent un effort visant à baisser le prix des nouveautés autour d’une douzaine d’euros. Mais, dans le même temps, une grande partie des potentiels acheteurs préfère braver la loi afin d’obtenir gratuitement un album qu’il a envie de découvrir et ce, par manque de moyen mais aussi par peur d’être déçu en achetant l’objet. Les majors ont vainement tenté d’enrayer le problème en proposant à leur tour leur catalogue en téléchargement payant, mais à moindre prix que l’objet. Sans succès ! Qui accepterait de payer 10 euros un album sans pochette, ni support CD, sans parler de perte de qualité audio due à la compression mp3 ?

La démarche de Radiohead ressemble à un pied de nez plus ou moins réfléchi aux majors : l’auditeur peut choisir le prix qu’il veut bien donner à un album sans support physique (le site de commande http://www.inrainbows.com/ nous informe « i’ts up to you. no really, it’s up to you », en français « c’est vous qui choisissez. non vraiment, c’est vous qui choisissez ». Ou, d’autre part, il décide de payer un prix important afin de recevoir un coffret complet pour l’amateur de musique qu’il est. L’argent récolté sur ces deux options ne passe ainsi par aucun intermédiaire : Radiohead n’a aucune maison de disques placée entre lui et son public et reçoit ainsi tous les bénéfices de sa musique, même s’il doit payer la main d’œuvre prévue à la fabrication des coffrets. L’offre semble déjà être une réussite puisque selon le site Gigwise, près de 1,2 millions d’albums auraient déjà été vendus pour une moyenne avoisinant les 4 livres sterling, soit 5,62 euros. La carrière du groupe lui permet ce risque de n’utiliser aucune promotion et de ne compter que sur la qualité de sa musique et la générosité des fans. De même, Trent Reznor de Nine Inch Nails, après avoir régulièrement critiqué sa maison de disques Universal pour fixer des prix bien trop élevés, prévoit maintenant de sortir ses nouveaux albums de manière autoproduite au prix fixé de 4 dollars par l’intermédiaire de son site Internet, alors que son contrat avec la major prend fin ces jours-ci.


Trent Reznor, lors d’un récent concert de son groupe Nine Inch Nails, encourage ses fans à voler sa propre musique face aux prix démesurément élevés des majors.

Parler de révolution à propos de la diffusion d’In Rainbows semble une vision utopique des choses. Restons pragmatique et espérons que cette nouveauté influence les anciens groupes à offrir leur musique et les plus inconnus à ne pas signer chez une major. L’offre du format mp3 n’est qu’une infime partie des meilleurs systèmes de diffusion culturelle qui pourraient être envisagés. Les majors finissent par ne plus laisser le choix ni aux artistes, ni aux consommateurs ; et l’amateur lambda préfère de plus en plus soutenir de petites structures indépendantes pour un travail plus authentique. Gageons que le cas Radiohead ne révèle que le plus important, et ce dont nous parlons finalement le moins ici, reste la qualité de la musique et que son prix importe peu. Et de nous rappeler que vivre de son art est une possibilité mais ne doit pas être une fin en soi…

Duck Feeling.