lundi 31 décembre 2007

Gustave Eiffel, entretien avec Paul Bourde


Quels sont les motifs que donnent les artistes pour protester contre l'érection de la Tour ? Qu'elle est inutile et monstrueuse ! Nous parlerons de l'utilité tout à l'heure. Ne nous occupons pour le moment que du mérite esthétique sur lequel les artistes sont plus particulièrement compétents. Je voudrais bien savoir sur quoi ils fondent leur jugement. Car, remarquez-le, Monsieur, cette Tour, personne ne l'a vue et personne, avant qu'elle ne soit construite, ne pourrait dire ce qu'elle sera. On ne la connaît jusqu'à présent que par un simple dessin géométral ; mais, quoiqu'il ait été tiré à des centaines de mille exemplaires, est-il permis d'apprécier avec compétence l'effet général artistique d'un monument d'après un simple dessin, quand ce monument sort tellement des dimensions déjà pratiquées et des formes déjà connues ? Et, si la Tour, quand elle sera construite, était regardée comme une chose belle et intéressante, les artistes ne regretteraient-ils pas d'être partis si vite et si légèrement en campagne ? Qu'ils attendent donc de l'avoir vue pour s'en faire une juste idée et pouvoir la juger.

Je vous dirai toute ma pensée et toutes mes espérances. Je crois, pour ma part, que la Tour aura sa beauté propre. Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos constructions et qu'en même temps que nous faisons solide et durable, nous ne nous efforçons pas de faire élégant ? Est-ce que les véritables conditions de la force ne sont pas toujours conformes aux conditions secrètes de l'harmonie ? Le premier principe de l'esthétique architecturale est que les lignes essentielles d'un monument soient déterminées par la parfaite appropriation à sa destination. Or, de quelle condition ai-je eu, avant tout, à tenir compte dans la Tour ? De la résistance au vent. Eh bien ! je prétends que les courbes des quatre arêtes du monument telles que le calcul les a fournies, qui, partant d'un énorme et inusité empâtement à la base, vont en s'effilant jusqu'au sommet, donneront une grande impression de force et de beauté ; car elles traduiront aux yeux la hardiesse de la conception dans son ensemble, de même que les nombreux vides ménagés dans les éléments mêmes de la construction accuseront fortement le constant souci de ne pas livrer inutilement aux violences des ouragans, des surfaces dangereuses pour la stabilité de l'édifice.

Il y a, du reste, dans le colossal une attraction, un charme propre, auxquels les théories d'art ordinaires ne sont guère applicables. Soutiendra-t-on que c'est par leur valeur artistique que les Pyramides ont si fortement frappé l'imagination des hommes ? Qu'est-ce autre chose, après tout, que des monticules artificiels ? Et pourtant, quel est le visiteur qui reste froid en leur présence ? Qui n'en est pas revenu rempli d'une irrésistible admiration ? Et quelle est la source de cette admiration, sinon l'immensité de l'effort et la grandeur du résultat ? La Tour sera le plus haut édifice qu'aient jamais élevé les hommes. Ne sera-t-elle donc pas grandiose aussi à sa façon ? Et pourquoi ce qui est admirable en Égypte deviendrait-il hideux et ridicule à Paris ? Je cherche et j'avoue que je ne trouve pas.

La protestation dit que la Tour va écraser de sa grosse masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l'Arc de Triomphe, tous nos monuments. Que de choses à la fois ! Cela fait sourire, vraiment. Quand on veut admirer Notre-Dame, on va la voir du parvis. En quoi du Champ de Mars la Tour gênera-t-elle le curieux placé sur le parvis Notre-Dame, qui ne la verra pas ? C'est d'ailleurs une des idées les plus fausses, quoique des plus répandues, même parmi les artistes, que celle qui consiste à croire qu'un édifice élevé écrase les constructions environnantes. Regardez si l'Opéra ne paraît pas plus écrasé par les maisons du voisinage, qu'il ne les écrase lui-même. Allez au rond-point de l'Étoile, et parce que l'Arc de Triomphe est grand, les maisons de la place ne vous en paraîtront pas plus petites. Au contraire, les maisons ont bien l'air d'avoir la hauteur qu'elles ont réellement, c'est-à-dire à peu près quinze mètres, et il faut un effort de l'esprit pour se persuader que l'Arc de Triomphe en mesure quarante-cinq, c'est-à-dire trois fois plus.

Donc, pour ce qui est de l'effet artistique de la Tour, personne n'en peut juger à l'avance ; la grandeur de la base m'étonne moi-même, aujourd'hui que les fondations commencent à sortir de terre. Quant au préjudice qu'elle portera aux autres monuments de Paris, ce sont là des mots.
Reste la question d'utilité. Ici, puisque nous quittons le domaine artistique, il me sera bien permis d'opposer à l'opinion des artistes, celle du public. Je ne crois point faire preuve de vanité en disant que jamais projet n'a été plus populaire ; j'ai tous les jours la preuve qu'il n'y a pas dans Paris de gens, si humbles qu'ils soient, qui ne le connaissent et ne s'y intéressent. A l'étranger même, quand il m'arrive de voyager, je suis étonné du retentissement qu'il a eu. Quant aux savants, les vrais juges de la question d'utilité, je puis dire qu'ils sont unanimes.

Non seulement la Tour promet d'intéressantes observations pour l'astronomie, la météorologie et la physique, non seulement elle permettra en temps de guerre de tenir Paris constamment relié au reste de la France, mais elle sera en même temps la preuve éclatante des progrès réalisés en ce siècle par l'art des ingénieurs. C’est seulement à notre époque, en ces dernières années, que l’on pouvait dresser des calculs assez sûrs et travailler le fer avec assez de précision pour songer à une aussi gigantesque entreprise. N'est-ce rien pour la gloire de Paris que ce résumé de la science contemporaine soit érigé dans ses murs ?
La protestation gratifie la Tour d' « odieuse colonne de tôle boulonnée ». Je n'ai point vu ce ton de dédain sans une certaine impression irritante. Il y a parmi les signataires des hommes qui ont toute mon admiration ; mais il y en a beaucoup d'autres qui ne sont connus que par des productions de l'art le plus inférieur ou par celles d'une littérature qui ne profite pas beaucoup au bon renom de notre pays.

M. de Vogüé, dans un récent article de la Revue des Deux Mondes, après avoir constaté que dans n'importe quelle ville d'Europe où il passait, il entendait répéter les plus ineptes chansons alors à la mode dans nos cafés-concerts, se demandait si nous étions en train de devenir les Græculi du monde contemporain. Il me semble que n'eût-elle pas d'autre raison d'être que de montrer que nous ne sommes pas simplement le pays des amuseurs, mais aussi celui des ingénieurs et des constructeurs qu'on appelle de toutes les régions du monde pour édifier les ponts, les viaducs, les gares et les grands monuments de l'industrie moderne, la Tour Eiffel mériterait d'être traitée avec considération.
Le Temps, 16 février 1887.

dimanche 30 décembre 2007

La Reine rouge

Artistes d’aujourd’hui, peintres, architectes, sculpteurs, mais également, musiciens, comédiens et écrivains, ô créateurs de beauté, n’êtes-vous plus touchés par ce qui fait vibrer la matière ? L’art est-il uniquement voué à l'absurde aujourd’hui ? Comment avons-nous pu laisser sur Evry, ville nouvelle, incarnation de l’art moderne, se dresser l’ombre sombre et sinistre de cette Cathédrale, celle qui doit être sublime de l’extérieur comme de l’intérieur, celle qui se doit de Dieu et par Dieu. Pardieu !

Aucun homme né d’une simplicité et sincérité naturelles n’aurait pu envisager l’apparition de cette Cathédrale si absurde : son manteau pied-de-poule rouge est de mauvais goût, car non seulement il ne possède aucune sculpture sur son armure qui puisse flatter le regard, mais en outre, il rappelle la couleur des bâtiments communistes. Les Chrétiens devraient s’en retourner dans leur tombe ! Par ailleurs, qui, parmi la population mondiale, viendrait en touriste visiter la Cathédrale d’Evry? Les artistes créent mais le genre humain élève l’œuvre au rang d'oeuvre d’art. Voici qu’un défi est lancé à l’absurde, mais l’absurde lui-même ne répond de rien. Ajoutons que la Cathédrale est coiffée d’une couronne verdâtre. Pourquoi des arbres ont-ils été plantés sur le toit ? D’un point de vue esthétique, il faut bien dire que le summum de la laideur arrive l’hiver : la couronne perd son fade éclat et se transforme en spectre morbide. En outre, quel étrange voyageur viendrait du bout de la planète admirer les peintures abstraites des vitraux se sublimer face à Jésus difforme sur sa croix, s’émerveiller de cet orgue électrique ? L’homme s’éloigne de l’infini divin…

Finalement, Evry, de rouge vêtue déjà avec ses bâtiments administratifs, sociaux et culturels se revêt à nouveau d’un bric-à-brac rouge toujours plus grand, toujours plus haut, toujours plus monstrueux jusque dans ses cieux. Tudieu ! Dorénavant, davantage de réels contrastes esthétiques pour l’art moderne seraient les bienvenus.

jeudi 20 décembre 2007

Insultants quant ils parlent de notre musique...

Tout comme le revendique le rappeur français Youssoupha : « J’ai du Rap dans les oreilles depuis le temps ». En effet, depuis bien des années, je porte ce genre musical dans mon cœur car le Rap est la musique qui me ressemble, qui me fait réfléchir, danser, rire et pleurer. Elle est si différente de ce que beaucoup s’imaginent. Ils préfèrent se fier à l’opinion générale et se contenter de la bonne musique populaire plutôt que de s’attarder sur ce genre bourré de sueur, de revendication, de mal être et de rage (pas uniquement péjoratif).
Il faut dire, qu’il est trop facile pour les fans de rock, métal, variété, pop ou autre genre de le rabaisser et de le dénigrer avec toute la mauvaise pub qu’il se fait et que les médias lui font. Mais il me semble que beaucoup de rock stars ont des vies bien plus subversives que celles de certains rappeurs et leurs textes ne sont pas toujours aussi profonds que les leurs. Ça c’est clair. Mais loin de moi l’idée de discréditer les paroles des Rock stars. Je ne suis pas comme certains, je ne discute pas les goûts et les couleurs de chaque individu. C’est comme avec les garçons, il en faut pour tous les goûts !
Je dis trop facile puisque grand nombre de ces gens ne savent pas ce qu’est le Rap et/ou n’ont jamais pris la peine d’écouter et de comprendre un texte. C’est vrai l’artiste ne chante pas, c’est en quelque sorte un parlé rapide, en rythme. Beaucoup de rappeurs utilisent cela pour exprimer et partager leurs sentiments : cela donne parfois un coté théâtral à la chanson ou la rend plus intimiste. Par exemple, Youssoupha sourit sur le refrain de « Ma destinée » : " Trop de rire, de sourire dans ma destinée… Trop de bons moments à vivre dans ma destinée…Trop d’amour pour le Rap dans ma destinée " etc. Ou encore Soprano qui donne souvent la sensation d’être sur le point d’éclater en sanglot.
Comme je le disais plus haut, le Rap est une musique de revendication, de sueur, de rage de mal être mais beaucoup ne lui reconnaissent que son côté provocateur et insolent. Ce qu’il faut savoir, c’est que très souvent derrière cette provocation et cette insolence, se cachent un mal être, une souffrance. C’est pourquoi beaucoup de textes sont aussi durs, aussi crus. Il ne faut cependant pas croire que c’est tout le temps le cas. Ce serait vraiment trop beau ! Certains rappeurs se plaisent à être vulgaires, violents, insolents pour le style. Ils pensent qu’ils seront plus crédibles, on parle de Street crédibility ! Il faut bien être réaliste, il n’y a pas que du bon dans le Rap game, comme on dit, mais je trouve révoltant le fait que les gens en fassent une généralité. Il existe du Rap poétique, comique, intelligent et sensé qui ne se contente pas de déblatérer des mauvaises vies, des insultes etc. Et là, on peut citer pas mal de rappeurs dont ceux que j’affectionne peaticulièrement : Soprano, Youssoupha, Kery James, Sat de la Fonky Family, Abdel Malik, Arsenic, Neg’marrons etc. Ces rappeurs influencent mon quotidien grâce à de jolies phrases qui deviennent mes devises ou me font sourire, rêver et espérer telles que : "la vie devient sublime quand on arrête de la subir" de Youssoupha ; "faut apprendre à souffrir quand on fait partie de ceux qui donnent de l’amour sans réfléchir et Puisqu'il faut vivre autant l'faire avec le sourire. Se dire que le meilleur est à venir. Que le pire permet de construire ce vraiment à quoi on aspire. Se dire, pendant la chute, qu'il y a toujours espoir de bien atterrir" de Soprano. Ou encore : "Quand t’as la ghetto super classe ça s’ressent, pas besoin de te raconter, ça s’ressent. Tu dégage un truc qui fait que ça s’ressent" de Kery James et aussi "Mon cœur a suivi sa logique. Faut se mélanger, dans la mixité y a rien de tragique, bah vas y oh !" de Sefyu. Je pourrais vous en citer tellement, tellement le poids des maux est important dans notre musique. Kery disait: " je revendique et indique qu’à mon sens, le rap doit avoir un sens, puisqu’il a sans aucun doute une influence, une conséquence sur nos jeunes." Amen Kery james !
R.E.S.P.E.C.T, mes amis, respect ! Vous savez ce que c’est au moins ? J’ai si souvent l’impression que non. Et pourtant, on le vaut bien ! Le rap représente une certaine catégorie de personnes sûrement pas la vôtre, elle représente ceux qui n’ont pas souvent la parole. Mais en dépit de tout cela, elle reste une passion que l’on fait, que l’on écoute avec amour. Que cela vous en déplaise ! Youssoupha rappe dans " Ma sueur et mes larmes " : " Respecte mon Rap, car j’y est ma sueur et mes larmes ". Le groupe Arsenic et Wallen disent : " Je rappe avec mes tripes et avec le cœur, toujours… " Juste pour cela vous devriez faire preuve de respect et puis : « Si t’aimes pas, parle pas, un point c’est tout !! »

…Alors ma rime est percutante pour leur faire péter un fusible !

dimanche 9 décembre 2007

Ouvrons un peu nos esprits (réponse de Gustave Eiffel)


La tour que vous critiquez est laide parce que vous voulez la voir ainsi ; mais au nom de quelles valeurs jugez-vous mon oeuvre? Comme toute chose l'art est appelé à évoluer et peut-être aussi les notions qu'il englobe (comme la beauté) ; la tour Eiffel ne sera pas la cause de divisons comme la tour de Babel mais elle mettra toute les nations d'accord sur cette nouvelle dimension qu'elle donne à Paris.
Je conçois pour vous que le fer ne soit pas un matériau noble, mais sa solidité fait de la tour le protecteur symbolique de tous les autres monuments de Paris. Si Paris a toujours été reconnue comme la ville la plus belle, c'est pour son originalité et ses innovations architecturales.
Enfin ouvrez vos esprits. Vous avez protesté en nourissant des arguments fondés sur des pressentiments, soyez patients, quand la tour sera finie vous la verrez dans toute sa gloire et sa beauté.
Elle offrira une autre vision de Paris mais cette ville gardera toujours sa popularité et son honneur. La tour Eiffel sera la main de fer qui tiendra ferme la réputation culturelle de Paris.

samedi 8 décembre 2007

Excursion au "100 Club Punk Festival"



Compositeurs, interprètes et passionnés de musique, nous prenons la plume ce jour afin de faire part de notre constat concernant la régression générale de l’art que nous chérissons tant. Alors que la musique savante ne parvient pas à retrouver la place qu’elle avait les siècles précédents, la musique populaire retourne à l’âge de pierre. Ce n’est pourtant pas le message que l’on semble vouloir nous faire passer, à l’image du festival Punk qui eut lieu les 21 et 22 septembre, et qui était organisé pour nous présenter les «musiciens» d’une nouvelle «révolution musicale ».

Plusieurs de nous furent interpelés par des affiches et publicités vantant l’événement. Aussi, nous nous y sommes rendus avec un enthousiasme qui a laissé place à la crainte vu les accoutrements dépecés des artistes du mouvement. Leur art est tout aussi pauvrement habillé : sur fond de guitares électriques et percussions, un chanteur ou une chanteuse braille un texte sans rechercher la moindre harmonie. Les orchestres se succèdent mais aucune mélodie ne réussit à se démarquer, les accords ne présentent aucune couleur et leurs enchaînements sont récurrents.

Que reste t-il alors des éléments que l’histoire a mis tant de temps à développer ? A quoi bon revenir à zéro ?

Les spectateurs adeptes de ce genre de mascarade sont reconnaissables par leurs tenues vestimentaires et montrent leur engouement en proclamant des insultes et en crachant vers la scène. On a alors affaire à du théâtre, peut-être, mais non à de la musique.

Nous souhaitons ainsi avertir l’opinion publique des détournements que peuvent connaître les arts. Chacun doit parvenir à distinguer le vrai du faux par-delà l’avis de certains partisans, des artistes sans art, si ce n’est celui de se vendre.


Artistes voulant sauver leur art, Octobre 1976

Reponse de M. Eiffel

Chers artistes,

Votre lettre m’a énormément touché, mais je dois admettre que je suis déçu - déçu par votre manque d’imagination. Vous, artistes innovateurs, vous me semblez ne plus penser qu’avec votre raison, à essayer de désigner ce qui est beau selon vos propres valeurs, plutôt que de penser avec votre cœur. Vous prônez dans, et par vos œuvres, l’ouverture d’esprit et vous fermez la vôtre à mon art.
Il est vrai que la tour Eiffel sera bien loin du modèle Haussmannien ou encore de l’art gothique de nos magistrales cathédrales, et je ne veux absolument pas remettre en cause ces chef d’œuvres architecturaux. Cependant, nous sommes entrés dans l’ère de l’industrialisation au début du siècle, nous avons de nouvelles technologies de construction, et ma seule et unique motivation est de faire découvrir aux parisiens, ainsi qu’au monde entier, que l’acier n’est pas un matériau froid et austère. La tour Eiffel sera une majestueuse vitrine du savoir faire français : plus qu’une simple sculpture, il s’agit d’un défi architectural et technique.
A tout prendre, j’espère simplement que lorsque vous verrez cette flèche d’acier pointer vers le ciel, surplombant notre capitale, vous pourrez peut-être y découvrir une nouvelle beauté.

Mes amitiés.



Gustave Eiffel,
Le 27 février 1887



Solene

vendredi 7 décembre 2007

"Fausse Piste" à l'Agora d'Evry


Je viens, simple étudiante en deuxième année d'art du spectacle à l'université d'Evry, porter un jugement sur votre spectacle, Fausse Piste de passage au Théâtre de l'Agora à Evry, au nom de la passion de l'art et plus particulièrement du spectacle vivant.

Un plateau nu et noir... Enfin la lumière s'allume et c'est parti pour 1h30 de plaisir. Le plateau nu est en fait recouvert d'un tapis bleu circulaire représentant une piste de cirque. A gauche, une régie ouverte au public. Le décor est planté, le spectacle peut commencer. En mêlant théâtre et jeux de cirque technologiques, vous avez réussi à m'intéresser à votre prestation sans même une seconde d'ennui.

Les jeux acrobatiques et théâtraux s'enchaînent, se croisent, on ne les différencie plus les'uns des autres. Le jeu acrobatique devient le jeu théâtral et inversement, lorsque, allongés par terre, vous m'apparaissez debout, sur la toile blanche du fond de scène, avec des numéros d'équilibre totalement invraisemblables. Je dois également vous remercier pour ces beaux voyages, une fois sur la lune, l'autre fois sur le ciel, puis dans l'espace. Quel bonheur de vous regarder jouer! Les transitions sont sauvées par vos belles et amusantes caricatures de clowns.

Cependant, votre élocution m'a quelque peu troublée ; vos mots devenaient parfois incompréhensibles et indissociables les uns des autres. Peut-être est-ce pour montrer que l'homme ne cherche pas à se faire comprendre tant que lui même se comprend? Je dois aussi vous faire part du fait que je reste sans comprendre le véritable rôle de l'homme qui se travestit. Je comprends évidemment que le personnage évolue, affirme son travestissement au fil du spectacle. Mais alors comment réellement interpréter ce personnage et quel est le lien qui le relie au reste de la pièce?

En tout cas ce spectacle reste un agréable moment passé en votre compagnie. Et bien évidemment, j'invite tout le monde à y aller, petit ou grand, seul ou en famille.

REPONSE DE GUSTAVE EIFFEL




Mes chers confrères, "écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de beauté", c'est avec dignité que je réponds à votre attaque, moi, créateur et architecte de la tour Eiffel.
Dans votre lettre, vous vous positionnez contre cette construction de fer en plein coeur de notre capitale. Messieurs, "le Paris de Jean Goujon, de Germain Pilon, de Puget, de Rude, de Barye" est à présent révolu. A l'aube du XXème siècle, il est temps de passer à quelque chose de nouveau.
C'est pourquoi je vous propose une esthétique nouvelle. Avec la Tour Eiffel, nous donnons un second souffle à la France, une nouvelle jeunesse à notre capitale. Grâce à cette construction, nous allons démontrer la grandeur de notre nation, car, Messieurs, nous sommes une grande patrie et nous voyons les choses en grand ! Des visiteurs du monde entier se déplaceront dans le seul but de pouvoir admirer cette tour dans notre exposition. La Tour Eiffel en sera l'évènement majeur. La preuve en est que sans l'avoir vue, tout le monde en parle déjà.
Faites-nous confiance, cette invention va changer nos vies. Paris est la plus belle ville du monde et la Tour Eiffel sera comme un bijou qui viendra habiller la ville. Quand vous marcherez dans notre capitale, la tour égayera vos promenades. Il est temps d'avancer, de mettre de côté vos préjugés et de laisser place à l'art véritable, à ce projet auquel je crois, auquel nous croyons tous. Cessez d'en parler et rendez-vous à l'évidence, Messieurs, la Tour Eiffel est l'avenir de la France !

jeudi 6 décembre 2007

Réponse de Gustave Eiffel aux artistes.



Vous, écrivains, peintres, sculpteurs et architectes, dans une lettre ouverte, vous m’avez adressé votre mécontentement de voir un jour s’achever la construction de la Tour. Vous qui prétendez parler « au nom du goût français », sachez que la Tour Eiffel n’a pas pour but d’enlaidir « le beau Paris ». Le peuple pourra bientôt s’apercevoir que cette tour située en plein coeur de la ville n’est pas un projet orgueilleux tel que vous voulez le faire croire, et que notre connaissance ici ne sert pas à égaler Dieu ou à le défier. Bien que la nouveauté amène parfois la crainte, les français comprendront bientôt les bienfaits de ce projet.

Paris, plus belle ville du monde, ne peut s’insurger contre un projet si ambitieux et qui ne fera que traduire sa grandeur. Cette Tour haute de trois cents mètres comptera parmi les plus beaux monuments que l’homme ait engendrés, et elle prendra sa place non pas au milieu de magnifiques allées comme vous le dites, mais dans un lieu tout à fait approprié à recevoir cette grandiose conception : le Champs de Mars. Ainsi Paris deviendra vraiment une ville privilégiée et la première à ériger quelque chose d’aussi colossal.

Posons-nous donc ces questions : va-t-on refuser le moyen d’atteindre une renommée éternelle en rejetant ce qui n’a jamais été réalisé ailleurs ? Ne risquons-nous pas comme cela de déshonorer « la ville merveilleuse » ?

La Tour Eiffel ne pourrait exister ailleurs car elle provient tout droit de mon imagination. Cela montre bien à quel point le talent se trouve en France, car en Amérique, un projet similaire devait naître mais les constructeurs ont fait fausse route. Nous, nous avons réussi…

Vous qui vous considérez comme artistes, vous jugez bon de m’attaquer sur ce point. En réalité je vous répondrai que la Tour fut entièrement dessinée par moi et avec la participation d’Emile Nougier et Maurice Krechlin, mes collaborateurs. Nous avons imaginé cette construction d’un point de vue technique mais également esthétique car nous en sommes capables. Vous qui citiez Jean Goujon pour avoir donné du sublime à la ville de Paris dans les années 1550, je vous parlerai moi d’un autre architecte et collaborateur, Stephen Sauvestre, qui vivant avec son temps, nous a aidé à rendre notre création plus harmonieuse.

Imaginez à présent cette grande Tour à l’allure nouvelle, aux quatre pieds de fer, solide et vertigineuse en plein cœur de la ville. Tout du haut, contemplez Paris de toutes ses directions et tous nos monuments. La Tour Eiffel sera à la fois une œuvre et une attraction.

Gustave Eiffel.

Réponse de M Eiffel aux Artistes contre la Tour Eiffel

Mes chers messieurs,


La tour que j’érige n’est là que pour la durée de l’exposition universelle. Elle fera 300 m de haut une fois terminée. C’est plus haut que tous les monuments de Paris. Elle dépassera, de son rayonnement mécanique, tous nos voisins européens, Italie, Allemagne, Flandres, déjà jaloux, selon vous, et ceux-ci seront encore plus envieux de la beauté de Paris. Cette tour, dont je suis l’architecte, sera admirée et nombreux seront ceux qui viendront la voir. Il ne s’agit pas non plus de détruire tout Paris pour ne reconstruire qu’avec des tôles et des boulons.


Ce sont des défis architecturaux dans lesquels personne ne s’est jamais lancé. De quoi vous plaignez-vous, messieurs les artistes ? La tour vous a déjà inspiré pour votre lettre enflammée au journal Le Temps et elle vous inspirera encore ! Ma tour vous fera connaître à travers le monde parce qu’elle véhicule une image de grandeur et de réussite industrielle et elle entraînera avec elle le rayonnement artistique français dont vous, messieurs les Artistes, vous faites partie. Et la France sera désormais synonyme de réussite et d’artistes accomplis.

Réponse de Gustave Eiffel

Moi, Gustave Eiffel, j’écris cette lettre afin de répondre aux accusations dont j’ai été victime dans une autre lettre publiée récemment dans le journal Le Temps. Les auteurs de cette lettre m’accusaient d’humilier la France et d’enlaidir Paris, en entreprenant la construction de la tour Eiffel.

Mes chers détracteurs, quand on vous lit, il est clair que votre hostilité à l’égard de la tour Eiffel n’est que le reflet d’une herméticité absolue vis-à-vis de l’art moderne. Ce qui a fait la grandeur de Paris dans le passé resplendira toujours, certes. Mais cela ne garantira pas la grandeur de notre capitale pour les années à venir. Paris a une richesse culturelle et historique hors du commun, maintenant construisons lui un avenir hors du commun. Et cela, Messieurs, ne se fera pas en restant hostiles aux idées nouvelles.

Croyez-vous qu’il est bon de ne vivre que dans le passé ? Vous parlez du « bon goût Français » : qu’en pensera le monde dans dix ans, si nos artistes d’aujourd’hui, trop obnubilés par le génie des artistes d’autrefois, s’opposent à toute forme d’art, et à toute originalité ? D’ailleurs, vous ne pourrez pas empêcher Paris de se moderniser, et si vous trouvez que cette tour enlaidit Paris, qu’allez-vous penser de toutes les évolutions urbaines qui, n’en doutez point, n’auront rien à voir avec le style gothique que vous appréciez tant.

Pour ces raisons, je vous propose de repenser vos jugements, un peu hâtifs selon moi, car sachez que c’est avec un profond respect pour Paris et ses monuments que je construis la tour Eiffel et qu’il sera toujours aussi agréable d’admirer les merveilles d’hier, même s’il siège à coté des constructions plus récentes.

réponse de Gustave Eiffel


A tous les artistes, qui ont écrit cette lettre ouverte, dans le journal Le Temps, le 11 février 1887, Messieurs Dumas, Maupassant, Gounod, Delisle, Sardou, Garnier, Copée, Prudhomme et bien d’autres, je souhaite répondre en leur donnant quelques précisions sur mon œuvre ainsi que sur ma vision de l’art.

Tout d’abord, je tiens à leur exprimer mon accord sur la magnificence de la ville de Paris. Qui pourrait être en désaccord avec cela? Cette ville est l’une des plus belles du monde, par son patrimoine historique. Mais Paris n’est pas pour moi « sans rivale au monde ». Chaque ville à son héritage culturel. Et c’est seulement en mon poste d’architecte, amateur d’art, que je me permets de citer la colossale Rome, capitale italienne à qui l’on doit, certaines beautés comme le Colisée, la place d’Espagne, le Panthéon, la fontaine de Trévise, la basilique Saint-Pierre, et j’en oublie.

Ainsi, s’il n’est pas possible à des artistes de concevoir une beauté autre que celle provenant d’un amour patriotique proche du « chauvinisme », comment pourriez-vous accepter une architecture nouvelle modifiant votre culture? Est-ce si aberrant d’imaginer une structure avec des matériaux différents de la pierre?

Car, oui, mon édifice est novateur par son changement de support. Et c’est une œuvre démesurée qui surplombera Paris. Est-ce cela qui vous fait problème? Un Paris qui ne serait plus seulement celui de Louis XIV, ni celui de Jean-François Chalgrin, mais celui de M. Eiffel, qui aura osé le changement, donné naissance à autre chose que du gothique, style tellement vu et revu qu’aucune création n’est plus possible. Si vous êtes contre de nouvelles techniques, vous demeurez contre l’avancement de l’art. Comment font Eugène Vallin et Henri Guitton, qui eux aussi utilisent du fer, des boulons pour leurs façades?

Si c’est la grandeur qui vous gène, dites-vous, comme Ralph Waldo Emerson, que « les grands hommes, les génies, les saints, n'ont fait de grandes choses que parce qu'ils étaient inspirés par un grand idéal. On a besoin d'accrocher sa charrue aux étoiles. »

Pour conclure sur la facilité de votre argumentation qui n’est en fait qu’un ordre de vos idées, je ne peux que vous dire que si je n’ai pu répondre à vos questions, vous n’avez qu’à envoyer une lettre à Edouard Lockroy, Ministre de l’industrie et du commerce, qui, lui, a accepté le projet mais peut encore changer d’avis.

Mes salutations distinguées,
Gustave Eiffel

Réponse au collectif

Réponse au collectif "Les Artistes contre la tour Eiffel" :


Moi, Gustave Eiffel, je défends, devant bien des tribunes et depuis longtemps déjà, mon projet. Je tiens à dire qu’il est bien regrettable qu’il soit si critiqué alors même que sa construction débute. Vous, artistes, devriez le comprendre aisément : il est peu commun de critiquer les œuvres à l’état d’esquisses et de trouver le maître dans ses brouillons.


Mon projet est financé par l’Etat et a toute l’attention de celui-ci. Il a pour but d’être l’un des éléments centraux de la prochaine exposition universelle de 1889. Cette date, vous la connaissez tous, c’est celle du centenaire de notre révolution. A cette occasion, un édifice sera construit aussi solide que nous sont chères nos libertés et nos droits. L’Etat veut édifier au sein de Paris le symbole de sa modernité. Bientôt, nous entrerons dans le XXème siècle, et je vais y faire entrer Paris comme la capitale de ce nouveau siècle sans pour autant dénigrer ses gloires passées.


Le projet n’a pas pour fonction de soulever la question esthétique. Il relève simplement de la prouesse technique : pour le mener à bien, je ne dispose que d’une centaine d’ingénieurs et d’ouvriers ainsi que de seulement trois années ! Dans ces conditions, je dois élever un colosse de fer de 300 mètres. Il sera le bâtiment le plus haut que l’humanité ait jamais construit ! Ce projet grandiose nécessite une synthèse de la technique française moderne et lorsqu’il sera terminé, la France et Paris s’enorgueilliront de celui-ci. Le public invité verra l’édifice et ne doutera point du génie français.


Quant aux critiques des esthètes, des sculpteurs, des peintres et des écrivains, je suis bien aise de les recevoir. Si les artistes se piquent de critiquer les inventions techniques, qui jugera de la valeur esthétique des œuvres d’art ?

Gustave Eiffel

16 février 1887

Une révolution silencieuse

Nous, artistes et amis du compositeur John Cage, tenons à mettre en garde et prévenir les spectateurs du concert de demain, 29 août 1952, au Maverick Concert Hall de Woodstock. Ce spectacle sera l’occasion pour David Tudor d’interpréter pour la première fois sur scène la dernière œuvre en date de monsieur Cage intitulée 4’33". Vous prévenir est essentiel du fait de la teneur tout à fait nouvelle de cette création. Monsieur Cage a longtemps étudié le phénomène du silence dans sa musique : ses Sonates et Interludes pour piano préparé de 1948 plaçaient déjà le silence comme élément à part entière de la composition et donc de la musique. Mais c’est vers la fin des années 1940 qu’il se rendit à l’université d’Harvard pour expérimenter leur installation de chambre totalement insonorisée. S’attendant à enfin découvrir la sensation de silence absolu, sa surprise fut grande lorsqu’il réalisa qu’il entendait quelques sons persistants ! Les bruits intérieurs de son organisme résonnaient dans ses tympans et les battements de son cœur mêlés à son système nerveux avaient alors été ses seuls compagnons soniques l’espace de quelque minutes, créant respectivement un bruit grave et un autre aigu.

Si la musique que nous connaissons et que nous aimons, de Jean-Sébastien Bach à Olivier Messiaen, ne peut réellement utiliser la pause ou le silence comme élément de relief et de nuance, que se cache-t-il derrière ce faux silence ? Toutes ces interrogations ont obsédé John Cage pendant bien des années, et ses résultats d’étude et de composition à ce sujet sont ainsi résumés dans 4’33".

Mes amis, trois grandes œuvres musicales de ce siècle, enfin reconnues par les experts comme essentielles pour la musique d’aujourd’hui et de demain, ont créé le scandale en leur temps : le merveilleux Pélléas et Mélisande du français Claude Debussy, l’incroyable Sacre du Printemps du russe Igor Stravinsky et le non moins envoûtant Pierrot Lunaire de l’allemand Arnold Schoenberg. Par les nouveautés de fond et de forme, ces œuvres ont ouvert de nombreuses voies pour les artistes qui allaient suivre. Qui oserait maintenant penser que l’opéra de Debussy n’est pas une sublime invitation à la rêverie, une envolée totalement hors du temps et pourtant si pleine de sens ? Qui croirait encore que les rythmes si complexes et pourtant si puissants de Stravinsky ne sont que « vacarme et bruitage » ? Ou enfin qui contredirait la force d’évocation des poèmes mis en musique par Schoenberg ?

Mais si ces créations ont bel et bien été l’objet de colères violentes et d’émeutes incompréhensibles, le manque de connaissance et de savoir en est le seul responsable. L’État américain bénéficie certainement des plus grandes têtes pensantes de notre monde, et son peuple ne saurait s’engager dans un sens contraire à la construction du savoir. John Cage est un révolutionnaire poli, et son œuvre est une ode au silence. 4’33" est constituée de trois mouvements et ne requiert aucun instrument. Demain, notre ami David Tudor l’interprétera au piano, mais elle pourrait très bien l’être autrement dans le futur. La partition ne donne qu’une indication « Tacet » par mouvement, c’est-à-dire « Silence ». Ne vous attendez pas à entendre le moindre son, les seules notes jouées seront les vôtres, et celle du Maverick Concert Hall tout entier.

4'33" est l'occasion d'une réflexion sur la musique, le silence et la perception de l'art en général. Sa place dans l'histoire vous appartient!


Les artistes et amis de John Cage, pour un art novateur et créatif.


Brûlot en réaction à la construction du futur Centre National d’Art et de Culture Georges Pompidou.

A monsieur le Président V. Giscard d’Estaing, à Monsieur J. Chirac, Premier Ministre ainsi qu’à Messieurs les ministres et députés,


C’est avec joie que depuis quelques mois nous entendions le Président V. Giscard d’Estaing émettre de vives oppositions quant à la poursuite de ce farfelu et divaguant projet de Centre Culturel parisien. Mais quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre que Messieurs les ministres, et Messieurs les députés, menés avec un enthousiasme déconcertant par le Premier Ministre J. Chirac, avaient voté en mars dernier le budget pour terminer la construction de cet affreux site, dans un délai de cinq ans !


En 1969, M. Georges Pompidou, alors Président de la République, projeta d’ériger sur le plateau de Beaubourg, en plein cœur du IVè arrondissement de notre belle capitale, un Centre Culturel aux fonctions éclectiques, regroupant sur le même site un musée d’art moderne, une bibliothèque, un centre de création musicale… « Je voudrais passionnément, expliqua-t-il, que Paris possède un centre culturel comme on a cherché à en créer aux Etats-Unis avec un succès jusqu’ici inégal, qui soit à la fois un musée et un centre de création, où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audiovisuelle, etc. Le musée ne peut être que d’art moderne, puisque nous avons le Louvre. La création, évidemment, serait moderne et évoluerait sans cesse. La bibliothèque attirerait des milliers de lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts. »
Que pouvions-nous faire alors, sinon soutenir un projet aussi riche et ambitieux, qui redonnerait à Paris sa réputation mondiale de haut-lieu de création artistique ?
De plus, cela aurait dû générer une nouvelle émulation dans cet ancien quartier de Paris, tombé depuis quelques temps en décrépitude …

Mais, quel ne fut pas notre choc en découvrant, le 15 juillet 1971, le projet architectural retenu parmi plus de 600 autres! Une vulgaire pelote de tuyauteries enchevêtrées, un amoncellement grouillant de tubes de verre et d’acier, dont les couleurs criardes défigureront les tendres teintes pastelles de nos immeubles de pierres de taille, de briques et de zinc… Loin de mettre en valeur un quartier déjà en perte de vitesse, cette horrible Méduse d’acier aux mille serpents colorés finira d’effrayer les derniers touristes qui parfois s’y perdent encore !
Comment laisser deux « savants architectes », Messieurs Piano et Rogers, qui n’entendent rien, qui plus est, à la culture et au patrimoine français, défigurer ainsi notre capitale en lui portant un tel affront ?

Si le renouvellement du dynamisme culturel parisien est plus que nécessaire, nous en convenons, et bien que l’idée initiale de créer un lieu d’émulation artistique au sens large au cœur de Paris soit lumineuse, nous ne pouvons nous résoudre à accepter qu’un tel brouillon architectural en soit le siège… Aussi, enjoignons-nous de tout cœur Messieurs Giscard d’Estaing, Chirac ainsi que tous les ministres et députés d'annuler la poursuite de cet odieux projet, et de choisir par appel d’offre un autre projet qui siérait bien mieux à notre splendide capitale, et concurrencerait sans honte notre fabuleux Louvre ainsi que notre lumineux et grand Palais !

Paris, le 17 avril 1973

Un collectif d’artistes, d’acteurs, de poètes, de musiciens, amoureux de Paris et de la culture française

Lettre de protestation contre la cathédrale de la Résurrection d'Evry


Nous, habitants d'Évry, attachés aux églises traditionnelles et au style gothique, dont nous sommes les héritiers, nous nous révoltons, avec une sévère fermeté, contre l'édification de la cathédrale d'Évry, située sur la Place des Droits de l'homme et du citoyen, entre l'université et l'Hôtel de ville de la Résurrection d'Évry, c'est-à-dire au plein cœur de la ville nouvelle. Nous ne pouvons accepter cette tour de brique massive que certains comparent à une colonne brisée maçonnique, à une cheminée, voire à une proue de navire ou à une tête de Christ.


Nous ne comprenons pas un tel choix. Ce monument est construit dans une ville moderne, certes, mais qui désormais rompt encore davantage avec un passé de 2000 ans d'architecture chrétienne. On est d'emblée surpris par son aspect extérieur, massif, vu de la place, heureusement plus doux vu de l'arrière. En rien, cet édifice ne fait penser à un lieu de culte et encore moins à une cathédrale ! On est loin de l'église "traditionnelle" en forme de croix latine avec le chœur orienté pour recevoir les premiers rayons du soleil.


Pouvons-nous faire comme si de rien n'était ? La ville d'Évry doit-elle renier son passé en s'encombrant d'un tas de brique ? Personne ne dit rien mais tout le monde s'en étonne.


Lorsque nous cherchons la cathédrale, si nous ne demandons pas notre chemin, nous pouvons toujours la chercher ! Et lorsque nous découvrons ce bâtiment pour la première fois, nous nous demandons avec curiosité ce que cela peut bien être. Qui penserait à une église ? Encore faudrait-il, pour s'en douter, voir apparaître le clocher, qui se cache on ne sait plus trop où. Lorsque nous passons à côté d'elle, elle n'attire donc pas l'attention. Nous sommes plutôt attirés par cette étrange idée que d'y avoir planté 24 tilleuls sur le toit. Certes leur symbolique est multiple. C'est tout d'abord un symbole de résurrection : les arbres revivent au printemps après la mort apparente de l'hiver. C'est aussi celui du temps qui passe ou encore du lien entre l'Ancien testament (les douze Tribus d'Israël) et le Nouveau Testament (les douze Apôtres). Mais dîtes-moi qui parviendra à déduire toutes ces informations par la seule vue de vingt-quatre arbres plantés sur un toit ?! Prions pour que cette architecture grotesque n'encourage pas d'autres fantaisistes à faire de même. Il faut rentrer à l'intérieur, pour enfin comprendre que c'est une cathédrale.

On s'afflige par conséquent d'une telle initiative, d'un tel déshonneur. Les églises qu'elles soient romaines ou gothiques, n'ont vraiment rien à envier à cette "cathédrale". C'est une humiliation pour les édifices religieux. Nos descendants constateront plus tard avec tristesse, notre goût ridicule qu'ils prendront non à tort, pour une idée farfelue...




Les habitants d'Evry, le 28 juillet 1995

Reponse à la lettre ouverte.

J'écris, en réponse aux sceptiques, au sujet de la construction de ma Tour. Pourquoi les artistes protestent-ils ainsi contre une tour dont la construction commence à peine? Comment pouvez-vous, vous, écrivains, peintres, sculpteurs et architectes savoir à quoi elle ressemblera et quel sera son impact?


Ce n'est pas parce qu’elle sera de fer, et d'une taille impressionnante, qu'il faut absolument la décrire comme une monstruosité. Le fer ne doit pas être seulement un symbole de l'industrie ; c'est plutôt un nouveau matériau utilisable dans des domaines divers, et notamment dans l'art.



La question de l'utilité de l'art ne se pose par pour vous, alors pourquoi demander qu'elle est l'utilité de ma tour? Car on peut aussi se demander à quoi servent les monuments qui font selon vous la beauté de Paris. Et au contraire de ce que vous affirmez avant même que la construction de la Tour Eiffel ne soit achevée, celle-ci n'a absolument pas pour but d'écraser les autres monuments, et encore moins d'enlaidir cette ville sans rivale. A l'inverse, cette tour pourrait être un moyen pour les curieux et admirateurs de venir découvrir Paris d'une autre manière. Ils pourront admirer Paris du ciel. Et ce n'est pas parce que la Tour Eiffel sera faite de fer et de boulons, qu'elle n'aura pas la même valeur qu'un monument de pierre. L'acier la rendra plus forte face aux intempéries, mais surtout, lui permettra de s'inscrire comme une oeuvre d'art d'un nouveau genre, qui s'inscrit dans le monde d'aujourd'hui.

Le louvre tabou Dhabi





Nous, conservateurs de musée en poste ou à la retraite, artistes, étudiants, professeurs ou simples amateurs d’art, nous nous indignons contre la construction d’un Louvre à Abu Dhabi, d’ici à 2012.

Un accord, ratifié en mars 2006 par Paris et la capitale des Emirats Arabes Unis, prévoit trois closes : l’utilisation de la marque Louvre pendant 20 ans, la mise au point de projets d’exposition par la France, et le prêt pendant les premières années de 300 œuvres pour une durée d’un an maximum. Le contrat n'étant évidemment pas fondé sur une extrême générosité de la part des pouvoirs publics français, il en coûtera un milliard d'euro à Abu Dhabi.


Devons-nous rester impassibles face à cette dérive commerciale ? N’est-il pas de notre devoir d’empêcher que les œuvres deviennent la monnaie d’échange d’enjeux géopolitiques ?

Nous adhérons évidemment au principe de libre circulation des œuvres d’art, mais uniquement dans le cas d’une gratuité totale. Faut-il rappeler que le système français est envié outre-Atlantique où seul le musée de Washington est national ? De plus, nous nous opposons farouchement à des prêts d’une si longue durée qui pénaliseront les visiteurs des musées français.

La construction d’un Louvre Abu Dhabi, inclue dans le projet pharaonique d'une « cité culturelle » sur l’île de Saadiyat (l’île du bonheur), est principalement motivée par de mercantiles enjeux, en total désaccord avec une utilisation éthique des œuvres d’art, garantes incontestées de l'histoire des nations.
Vous, artistes passionnés de l'art de Paris, vous qui avez si vivement critiqué mes talents dans votre lettre, c'est à vous que je m'adresse aujourd'hui, pour répondre à vos attaques contre mon projet et moi-même.

Vous affirmez, sans aucune retenue, et je vous en donne raison, qu'il n'y a pas ville plus belle et plus admirée que Paris à travers le monde. Je confirme donc, puisque vous pensez douter de mes aspirations, que les plus beaux ouvrages se trouvent en son sein et que Paris n'a strictement rien à envier à d'autres horizons.


Comment pouvez-vous alors vous insurger contre le projet d'un nouveau monument plus grand et plus beau qui viendrait surplomber tous les autres? Au lieu de l'enlaidissement et de l'humiliation dont vous parlez, ne voyez-vous pas l'immense honneur pour Paris que la tour Eiffel soit mon choix pour une construction d'une telle envergure ? Je viens ajouter une pierre à l'édifice du patrimoine artistique de la ville pour confirmer définitivement son potentiel de talents.


Ne soyez pas aussi conservateur de l'âge de pierre, nous sommes passés à l'âge de fer et je puis vous assurer de la future réussite de mon projet. C'est dans la différence et la diversité que Paris pourra se vanter d'être l'indétronable reine de la beauté, et d'avoir le plus grand trône qui existe sur terre, ma tour, la tour de Monsieur Eiffel.


Croyez-moi, ce nom restera gravé dans les mémoires pour les siècles à venir comme l'emblème de la ville de Paris.



mercredi 5 décembre 2007

Lettre aux détracteurs

A vous, messieurs les détracteurs, subjugués par la beauté de Paris !

Sachez que la Tour ne défigurera pas notre capitale ! Son ombre, certes s’allongera sur la ville mais, non pour humilier ses monuments illustres ou les réduire à des miniatures mais pour les couvrir d’une dentelle qui suscitera l’éblouissement. Paris restera sans rivale ! Ses artères sans autres pareilles et ses splendides promenades, loin de dépérir à l’ombre de la Tour, vont connaître une activité accrue et drainer de nombreux curieux. En effet, loin de heurter les esthètes, l’audace et l’esthétisme de ses formes vont, à travers le monde, susciter convoitise et admiration. Il est incontestable que cet afflux de visiteurs profitera à notre ville et à ses sites historiques ou touristiques et que la renommée de Paris n’en sera que confortée.

Pensez-vous donc que nous, les ingénieurs, soyons inconscients ? Soyez assurés que nous voulons des réalisations indestructibles. Certes, elles sont issues des calculs mathématiques les plus sérieux mais elles doivent également répondre aux critères de la beauté architecturale. Sans doute, ces modèles ne sont-ils pas identiques aux vôtres mais, nos créations respectent aussi les exigences d’équilibre et d’harmonie qui seules permettent de les intégrer dans leur environnement. La technique de l’acier, maintenant maîtrisée, fait de ce matériau un allié indéfectible dont les caractéristiques assurent fiabilité et pérennité à l’ouvrage. Son utilisation, dans le respect des contraintes physiques, va permettre de construire un nouvel édifice à l’architecture innovante que le monde entier reconnaîtra et célèbrera.

Apprenez que tous les projets, même les plus atypiques, prennent en compte l’ensemble des contraintes mécaniques et thermiques. Etudiés pour résister aux agressions climatiques, leur usage ne doit présenter aucun danger pour les utilisateurs. Cependant, tout ingénieur sait qu’aucune entreprise ne pourra aboutir si elle ne correspond pas au souhait de ses concitoyens. L’entreprise est d’envergure mais le public attend, impatient de voir bâtir cet ouvrage majestueux, de considérer cette structure métallique dont les formes aériennes s’élanceront avec force et élégance au-dessus de la capitale. La polémique enfle mais lorsque la Tour, reposant sur ses quatre piliers incurvés, sera achevée, elle incarnera toute l’avancée industrielle de la France !

Croyez-moi, à vous, artistes et écrivains, la beauté des couleurs et des mots ; à nous, ingénieurs, celle des constructions et à chacun son domaine d’excellence !

Réponse de Gustave Eiffel en toute simplicité

De quel droit osez-vous prétendre que la tour Eiffel est une architecture grotesque?Qui êtes-vous pour dire que mon art est médiocre? D'accord, vous êtes artistes mais cela ne vous donne pas tous les droits...
Moi, Gustave Eiffel, en tant que sclupteur de la Tour Eiffel, je décide de construire quelque chose de nouveau. Certes, les monuments de Paris sont très beaux, mais ils sont aussi tous en pierre. Et justement, je ne voulais pas faire comme tout le monde! Mais évidemment, lorsqu'il y a une nouvelle invention, cela fait peur et les gens sont toujours là pour critiquer, pour vous juger! A croire que l'on n'aime pas la nouveauté, ou le progrès... Mais les temps changent mes chers amis! C'est pour cela que ma "colonne de tôle boulonnée", comme vous le dites, est en métal!
Contrairement à vous, je ne pense pas que les étrangers fuiront cette tour. Surtout si elle reste pendant vingt ans. En effet, en vingt ans la mentalité des gens évolue. Je ne dis pas que je suis sûr de moi en vous répondant cela mais je vous dis juste ce que je crois... Quelle est la fonction de l'artiste si ce n'est traduire ses rêves, ou porter un autre regard sur le monde?

Notre conception de l'art est différente mais je vous prie de me laisser travailler librement. Laissez-moi croire en mes rêves. Je ne me permets pas d'anéantir les vôtres, même si quelques fois j'en meurs d'envie...